Football sensible...
J'ai
dû effectuer trois, allez, quatre tours du pub. Les irlandais disent
“laps”, m'a-t'on rappelé. Je ne crois pas qu'ils m'aient
chronométré par contre. Dommage, j'aurais pu savoir si j'avais
battu le record du circuit, comme en Formule 1, un autre de ces
sports où ils sont loin d'exceller – en foot
gaélique ou en hurling,
on ferait moins les malins par contre...
Les Irish sont
très peu jaloux cela dit, et à chacun de mes arrêts aux stands –
la Guinness coule à flots, les vidanges sont inévitables –, on me
félicita chaleureusement, comme si j'avais moi-même scoré un des
quatres buts marqués par les Bleus ce soir-là. Comment
avait-on compris que j'étais français, ça, je me le demande
encore. Mon accent peut-être ?...
Au
début du match, j'avais tenté d'entonner la fameuse
chanson “BENJAMIN
PAVAAAAAARD, JE CROIS PASQU'VOUS L'CONNAISSEEEEEEZZZZZ...”,
mais, de fait, les Irishs ne
semblaient n'avoir que très peu eu vent des prouesses de notre
valeureux arrière droit – j'ai d'ailleurs réessayé plus
tard, lors d'un voyage à New-York, au sommet de l'Empire State
Building entre autre, mais cela n'a pas mieux pris avec les
américains.
A
Dublin, dans ce pub, il y avait bien un ou deux français échoués
là, mais l'un d'eux ne pouvait s'empêcher de commenter de sa voix
nasillarde chacune, oui, CHACUNE des actions des deux équipes en
direct (live), ou, a minima, de les accompagner d'un
“HOULALALALA” des plus déplaisants. Il faisait honte à la
nation toute entière, et même Feu-Thierry Roland m'aurait paru fin
et subtil en comparaison. Cet imbécile gâcha quelque peu le match à
tous les téléspectateurs présents, mais dieu merci, les Bleus
l'emportèrent malgré lui. Nous étions donc champions du Monde, et
pour la deuxième fois. Wahou.
J'avais
cependant l'impression d'être atteint de la même maladie que le
héros du fantastique Karoo, ce livre de Steve Tesich –
à savoir ne pas parvenir à atteindre l'état d'ivresse, quel que
soit le volume d'alcool ingurgité.
Pour
tout dire, j'avais aussi éprouvé, tout au long de la compétition,
les pires peines à ressentir ne serait-ce que la moitié de l'extase
de 1998. J'étais, certes, à plusieurs centaines de kilomètres de
la patrie de Zidane et de Mbappe, et il est évident que je vous
ai jalousé, vous autres présents en France pour sauter dans tous
les sens vêtus (ou non) du maillot officiel (ou de celui d'il y a
vingt ans) ou même, comme moi, d'un vieux polo H&M vaguement
bleuté. Je vous ai imaginé cent fois vous embrasser, vous empiler
les uns sur les autres, vous... Mais n'y avait-il que la
distance qui m'éloignait de l'état de grâce envahissant alors peu
à peu la France toute entière ?
Il
est vrai que j'étais bien plus enclin à croire à un nouveau Mai
68 – oui, en mai de cette année 2018, soit cinquante ans
après –, qu'à un nouveau juillet 98 (en juillet de cette année,
soit... vingt ans après, bingo !). Voilà, lorsque débuta cette
nouvelle campagne de Russie (oui cette année,
soit... Pfff, désolé, je suis nul en histoire, et j'ai un peu la
flemme de chercher), je fus plutôt de ceux qui voyait la jeunesse de
l'équipe comme un frein pregnant à leur arrivée en trombe au
sommet de l'Everest footballesque (la Coupe du
Monde).
“BENJAMIN
PAAVAAAAAARRRD”...
Je
retente, mais non, décidément, les irlandais ne sont pas prêts.
J'aurais dû m'en douter, cela dit : lorsque la Croatie égalisa, à
mon grand étonnement, la foule présente ce soir-là se leva et
hurla comme un seul homme. J'avais quelque peu oublié les
actions conjuguées deThierry Henry et de sa main gauche,
toutes deux en grande partie responsables de l'absence de l'équipe
nationale irlandaise en Coupe du Monde. C'était en 2010, mais tous
deux ont apparemment laissé quelques séquelles, que dis-je, des
plaies ouvertes dans cette verte contrée.
Je
m'interromps moi-même, pardon, mais des photos ont été prises et
menacent d'inonder imminemment les réseaux sociaux, alors je devance
le scandale et l'affirme bien haut : ce n'est pas moi ! (Ou alors,
si, peut-être bien, mais l'alcool, cette fois-là c'est sûr, avait
produit son effet, et si j'ai hurlé, le soir de la victoire de la
Belgique de Kevin De Bruyne sur le Brésil de Neymar, mon désir de
naturalisation belge, lové dans un drapeau noir-jaune-rouge Domino
Pizza au beau milieu d'une foule bruxelloise en délire, c'est bien
parce que j'étais, oui, un brin éméché).
Bon,
pour être franc, je me traîne ce texte depuis plus d'un mois et
demi. Je crois qu'à part décrire les multiples tours effectués,
hilare, à travers ce vieux pub irlandais bondé, je ne sais pas trop
ce que je voulais raconter. À effectuer ces boucles incessantes, je
crois que ma tête elle ausssi en vint à tourner, et, ça y est, le
disque est rayé...
Lorsque
j'ai commencé à l'écrire, j'approchais lentement (mais
inexorablement) de la date fatidique de mes 40 ans sur cette Terre –
et si cela vous intéresse de le savoir : damn, c'est
fait désormais. Logiquement plongé dans la crise consubstantielle,
j'ai revécu en accéléré, tel un désespéré venant de sauter du
haut de, tiens, l'Empire State Building disons, quelques grands
moments de ma trépidante existence so far. Se
bousculaient alors, en vrac, mes pipis au lit, mes premiers flirts,
d'autres trucs peu avouables, et, bien sûr, c'est de circonstance :
l'année 1998 et la première épopée victorieuse des Bleus en Coupe
du Monde.
Ô
vieillesse ennemie heu !
Je
vous épargne, gros veinards, les interminables passages accouchés
(dans la douleur) de cet état post-traumatique. On y trouve, dans le
désordre, quelques divagations sur le choc France-Allemagne 82 –
alors que je l'ai à peine vécu –, une ode à Zinédine Zidane,
les détails de mes considérations technico-tactiques sur le jeu des
Bleus à travers les vingt dernières années, le début de ma thèse
en découlant naturellement et intitulée “Le beau jeu, une utopie
?” (préfacé par Eden Hazard et Thibaut Courtois), ou encore le
triste récit de mes souvenirs larmoyants des malheureux partis trop
tôt et que donc, je ne peux plus embrasser, empiler (?!), etc...
Peut-être
vous balancerai-je un jour ces écrits maladroits à la figure, par
surprise, comme le font ces songwriters branchouilles avec leurs
démos inédites prétendument réapparues miraculeusement sur un
vieux disque dur...
La
morale de tout cela, s'il y en a une, c'est que ce n'est pas
facile-facile de vieillir, et que remporter une étoile sur un
maillot, c'est vachement sympa, même la deuxième fois.
Mais
aussi que c'est super-dur, l'écriture...
Marcel
RAMIREZ
(Le
titre “Football sensible...” est un clin d'oeil à Sensible
Soccer,
mythique jeu vidéo de football des années 90)
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